Passer au contenu

Vos données environnementales vont devenir un actif stratégique.

Robin Lemaitre |

De la contrainte à l’actif stratégique

Longtemps cantonnée au rapport RSE ou à la conformité réglementaire, la donnée environnementale (notamment issue de l’Analyse du Cycle de Vie,ACV) est en passe de devenir un véritable actif stratégique pour les entreprises. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, plus de 23 000 entreprises, représentant deux tiers de la capitalisation boursière mondiale, ont divulgué leurs données environnementales via la plateforme CDP – soit une hausse de 24 % en un an et près de 300 % de plus qu’en 2015​. 

Autrement dit, la performance environnementale et sa mesure ne sont plus un simple sujet de conformité. Elles conditionnent désormais des enjeux business clés, tels que :

  • L’accès aux marchés publics, de plus en plus soumis à des critères “verts” obligatoires ;

  • La réussite aux appels d’offres clients (B2B) exigeant des bilans carbone précis ;

  • L’accès aux financements (banques, fonds, assurances) avec des investisseurs scrutant les données climat ;

  • L’optimisation de la chaîne de valeur et les arbitrages internes guidés par l’ACV pour réduire coûts et risques ;

  • La compétitivité produit et la différenciation commerciale, face à des consommateurs et marchés exigeant transparence et faible empreinte.

Les directions générales visionnaires l’ont compris : structurer dès aujourd’hui ses données environnementales, c’est se doter d’un avantage concurrentiel majeur pour demain. Entrons dans le détail de ces cinq leviers stratégiques.

Marchés publics : un sésame de plus en plus “vert”

Remporter un appel d’offres public dépend de plus en plus de vos performances environnementales. En France, depuis la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, tout marché public doit comporter au moins un critère environnemental dans ses conditions d’attribution​. Ce n’est plus une option : si votre offre ne démontre pas de qualités écologiques, elle est d’emblée pénalisée. Le mouvement s’accélère même : le Plan National pour des Achats Durables (PNAD) fixe l’objectif que 100 % des contrats publics intègrent une clause environnementale d’ici fin 2025

Déjà, en 2023, 55 % des marchés de l’État comportaient une considération environnementale​, signe d’une mutation profonde de la commande publique.

Aller plus loin, les nouvelles réglementations introduisent une notion d’exclusion pour les mauvais élèves. Par exemple, la loi “Industrie verte” d’octobre 2023 prévoit que les acheteurs publics pourront écarter une entreprise d’un marché si celle-ci n’a pas réalisé son bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES) ou ne publie pas d’informations de durabilité​.

En clair, ne pas disposer de ses données carbone à jour pourra vous fermer purement et simplement l’accès à la commande publique. À l’inverse, les entreprises qui maîtrisent leurs données d’impacts (ACV produit, bilans GES, etc.) et les mettent en avant bénéficient d’un avantage décisif : elles apportent la preuve chiffrée de leur engagement, rassurent les acheteurs publics et maximisent leurs chances de remporter les contrats. Les directions les plus visionnaires investissent donc dès maintenant dans des systèmes de reporting ACV robustes, sachant que ce ticket d’entrée “vert” deviendra universel dans les appels d’offres publics.

 

Appels d’offres privés : la transparence exigée par les clients B2B

Cette exigence de transparence environnementale ne vaut pas que pour le secteur public. Dans le privé aussi, les grandes entreprises intègrent des critères environnementaux dans leurs appels d’offres et la sélection de leurs fournisseurs. Un mouvement global est à l’œuvre : aujourd’hui, plus de 330 donneurs d’ordre majeurs, totalisant 6 400 milliards de dollars de pouvoir d’achat, demandent à leurs fournisseurs de divulguer leurs données environnementales via CDP

Autrement dit, des géants de tous secteurs ( de la grande distribution à l’automobile ) réclament à leur chaîne d’approvisionnement des indicateurs précis d’empreinte carbone, d’usage des ressources ou de biodiversité.

Ne pas être en mesure de fournir ces données, c’est risquer l’élimination pure et simple d’une consultation fournisseurs. À l’inverse, les entreprises capables de prouver leur performance environnementale se distinguent : elles cochent les cases ESG des donneurs d’ordre et deviennent des partenaires privilégiés. Structurer ses données environnementales, c’est donc aussi préserver son chiffre d’affaires en sécurisant l’accès aux marchés de grands clients privés. Un cas concret : depuis 2023, 700 investisseurs institutionnels (gérant 140 000 milliards $ d’actifs) et 330 grandes entreprises utilisent les données du CDP dans leurs décisions​ ( qu’il s’agisse d’investir ou de choisir un fournisseur.) Les fournisseurs qui tarderaient à mesurer et partager leur empreinte carbone pourraient bien se voir fermer la porte de contrats stratégiques.

Les directions générales avisées anticipent cette évolution en collaborant dès maintenant avec leurs partenaires pour collecter les données ACV tout au long de la chaîne de valeur.

Elles répondent ainsi aux questionnaires extra-financiers, aux portails fournisseurs verts et autre rating CDP Supply Chain, s’assurant d’être “éligibles” aux appels d’offres des clients.

Financements et investisseurs : le carbone, nouvelle langue de la finance

Autre domaine où la donnée environnementale s’impose : l’accès aux financements. Banques, fonds d’investissement et assureurs intègrent désormais les critères climatiques et environnementaux dans leurs décisions. Là encore, les chiffres illustrent la tendance : en 2025, 639 institutions financières représentant plus de 126 000 milliards de $ d’actifs ont exigé des milliers d’entreprises qu’elles divulguent leurs risques et impacts environnementaux via le CDP​

Cela signifie que pour lever des fonds, entrer en Bourse, obtenir un prêt ou même une assurance, une entreprise doit pouvoir fournir des indicateurs fiables sur ses émissions de CO₂, sa trajectoire de réduction (idéalement validée type SBTi), ses risques liés au climat, etc.

Les investisseurs considèrent désormais la transparence climatique comme un gage de viabilité à long terme. D’après l’initiative CDP, cette transparence accrue a déjà permis aux entreprises de repérer plus de 16 000 milliards de $ d’opportunités liées au climat et à la nature​, preuve que bien gérées, les données environnementales révèlent des relais de croissance (nouveaux marchés, innovations vertes) et rassurent sur la pérennité des modèles d’affaires. À l’inverse, opacité ou retard en la matière envoient un mauvais signal : celui d’une entreprise potentiellement exposée à des futurs coûts cachés (taxe carbone, scandale environnemental, actifs échoués) ou tout simplement en décalage avec le sens de l’histoire.

Les directions générales tournées vers l’avenir l’ont bien saisi : parler la langue du carbone est devenu incontournable pour dialoguer avec les financeurs. Beaucoup s’engagent donc dans des démarches type Science-Based Targets (SBTi) pour crédibiliser leur stratégie bas-carbone, ou émettent des rapports TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) pour montrer aux banquiers qu’elles intègrent le climat dans la gestion des risques. Les bénéfices sont multiples : meilleure confiance des investisseurs, conditions de financement plus favorables, accès à des fonds “verts” et revalorisation de l’entreprise dans les indices extra-financiers. En somme, la donnée environnementale bien maîtrisée devient un passeport pour la finance de demain.

Chaîne de valeur : piloter l’efficacité et l’innovation grâce à l’ACV

Au-delà des exigences extérieures, structurer ses données environnementales offre un levier direct pour optimiser son modèle économique. En évaluant finement l’empreinte de chaque étape du cycle de vie d’un produit ou service, on met en lumière des gisements d’efficacité souvent insoupçonnés. Un chiffre éloquent : environ 80 % des émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise proviennent de sa chaîne d’approvisionnement (scope 3 amont)​.

C’est là que les données ACV deviennent précieuses. En identifiant les maillons les plus émissifs ou énergivores, l’entreprise peut réorienter ses choix : changement de fournisseur pour un matériau moins carboné, optimisation des transports, éco-conception d’un composant, etc.

Les données environnementales, bien exploitées, permettent souvent de concilier performance écologique et performance économique. Réduire les déchets, c’est réduire des achats de matières premières. Diminuer l’énergie consommée dans un process industriel, c’est alléger sa facture énergétique. Mieux vaut donc connaître précisément son “coût carbone” pour chaque activité : c’est souvent là que se cachent les efficiences futures et les innovations de rupture de votre secteur.

Par ailleurs, l’ACV apporte un éclairage stratégique pour anticiper les réglementations à venir et éviter les mauvaises surprises. Par exemple, avec l’entrée en vigueur du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) de l’UE, les exportateurs devront déclarer le contenu carbone de leurs produits sous peine de taxes à l’importation. Se doter d’emblée de ces données, c’est sécuriser son accès aux marchés internationaux demain. Même logique pour les obligations à venir sur la durabilité des produits : l’UE prévoit des “passeports numériques de produits” contenant les données ACV, pour des filières comme les batteries, l’électronique, le textile, etc. Ne pas être capable de remplir ces passeports équivaudra à ne plus pouvoir vendre sur ces marchés. À l’inverse, les entreprises proactives qui intègrent l’ACV dans leurs outils de pilotage dès maintenant seront non seulement en conformité, mais bénéficieront d’une avance technologique et organisationnelle pour distancer la concurrence.

Compétitivité produit et différenciation commerciale : l’effet “score vert”

Enfin, la donnée environnementale est en train de devenir un argument de vente à part entière, directement perceptible par les clients finaux. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’empreinte des produits qu’ils achètent : 73 % d’entre eux se disent prêts à payer plus cher pour des produits à faible impact environnemental

Ce basculement des préférences impose aux entreprises de mettre en avant leurs performances  et donc de les mesurer rigoureusement en amont. Un produit affichant une empreinte carbone inférieure à celle de ses concurrents dispose d’un avantage marketing évident, surtout si cette information est facilement accessible (étiquette, fiche produit, communication transparente).

Les pouvoirs publics encouragent d’ailleurs cette transparence vis-à-vis du consommateur. En France, l’affichage environnemental se déploie progressivement : la loi Climat 2021 prévoit de le rendre obligatoire d’ici 2026, avec certains secteurs pionniers dès janvier 2024 (textile)

Cela prendra la forme de notes environnementales (A, B, C…) ou d’éco-scores basés sur l’ACV, apposés sur les produits, à l’image du Nutri-Score alimentaire​.

À terme, deux produits concurrents seront comparés en rayon sur la base de leur score environnemental

Les implications sont claires : un industriel qui a aujourd’hui structuré ses données ACV et amélioré son empreinte aura des meilleures notes à afficher que celui qui s’est contenté du minimum réglementaire. Cette différenciation pourrait se traduire par des gains ou pertes de parts de marché sensibles, comme le souligne l’ADEME : l’affichage environnemental entraînera des fluctuations de chiffre d’affaires en fonction du score attribué aux produits​ à l'image du Nutriscore.

Par ailleurs, valoriser ses données environnementales, c’est renforcer son image de marque et la confiance des clients. À titre d’exemple, Schneider Electric, leader mondial de la gestion de l’énergie, a été nommé deux fois « entreprise la plus durable du monde » (2015 et 2025) notamment grâce à son approche pionnière de mesure et de pilotage de ses performances ESG​. Son CEO affirme que la durabilité est « la force motrice qui façonne [leurs] décisions business »

Cette réputation d’excellence environnementale permet à Schneider d’attirer une clientèle en quête de solutions responsables et de se différencier nettement sur ses marchés. Sans viser nécessairement de tels palmarès, chaque entreprise a intérêt à raconter, chiffres à l’appui, ses progrès environnementaux : c’est devenu un critère d’achat, de fidélisation et même d’attraction des talents en interne.

Anticiper ou subir, un choix stratégique

Les faits sont là : la non-prise en compte de la donnée environnementale n’est plus une simple omission bénigne, c’est un handicap concurrentiel qui ne fera que grandir. À l’inverse, considérer dès aujourd’hui ces données comme un actif stratégique ouvre de nouvelles perspectives : accès privilégié à certains marchés, financement facilité, efficacité opérationnelle accrue, innovation produit et image de marque positive. Chaque dirigeant devrait se poser la question : quelle est la maturité de mon organisation dans la gestion des données environnementales ? Les entreprises qui prennent de l’avance en structurant leur donnée ACV et en l’intégrant aux décisions seront indéniablement les mieux placées demain. Celles qui tardent s’exposent à des barrières à l’entrée, des coûts plus élevés et une perte de confiance des parties prenantes.

En somme, l’inaction est aussi un choix stratégique, souvent le plus risqué. Ne rien faire, c’est laisser le train en marche et risquer de le voir partir sans nous. À l’heure où la transition écologique rebbat les cartes de l’économie, transformer ses données environnementales en atout stratégique constitue au contraire l’une des décisions les plus lucide et gagnantes qu’une direction générale puisse prendre. Les pionniers de 2025 seront les leaders de 2030. 

Sources : CDP, ADEME, Carbone 4, SBTi,Orki,se.com.

 

Partager ce post